Débat politique de haut vol cette semaine sur fond de passion musicale.
Après Bruno Gollnisch déclarant sa préférence pour l'orchestre symphonique sur le tam-tam, c'est au tour du philosophe Luc Ferry de revendiquer le droit de penser que "Don Giovanni de Mozart c’est mieux que le tambourin".
Verbatim
Luc Ferry était invité vendredi 10 février sur France Inter dans l'émission Interactiv'. Interrogé par Patrick Cohen à propos du discours de Claude Guéant sur les civilisations, l'ancien ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a déclaré :
"On ne peut pas s’empêcher quand il y a un tourbillon médiatique de cette ampleur de se poser à soi-même la question, par-devers soi. Je suis sûr que vous l’avez fait comme moi. Au fond, est-ce que je suis un salaud ? Est-ce que je suis xénophobe et raciste parce que je pense que le Don Giovanni de Mozart c’est mieux que le tambourin d’une société traditionnelle ? Et donc, oui évidemment que les civilisations ne se valent pas. Et j’ajouterais une chose…"
Patrick Cohen : "Une civilisation ne se réduit pas au Don Giovanni de Mozart."
Luc Ferry : "Oui en effet, je lisais hier dans Libé, un papier qui était tout à fait typique de l’arrière fond de ce débat. Un papier tout à fait typique de la haine de soi de l’Europe, et qui expliquait, du reste à juste titre, je le dis tout de suite, que l’Europe c’était le colonialisme, l’esclavagisme, le fascisme, le nazisme, le stalinisme et toute une série d’horreurs. Evidemment que c’est vrai. Là on voit la haine de soi se mettre en place. Mais l’Europe ce n’est pas ça fondamentalement. L’Europe c’est aussi l’abolition de l’esclavage, c’est aussi la fin de la colonisation, c’est aussi la lutte contre les totalitarismes. Alors qu’est-ce qui caractérise fondamentalement l’Europe et qui fait que à mes yeux la civilisation européenne peut légitimement être considérée comme supérieure à d’autres, pas à toutes les autres mais à d’autres... Dans les livres d’histoire, on parle de grandes civilisations, on va supprimer ça dans nos livres d’histoire ?. […]" (source : France Inter)
Philosophe, mais pas logicien
On connaît ce sophisme : Socrate dit : « Tous les hommes sont menteurs. » Or Socrate est un homme donc il ment, donc tous les hommes disent la vérité, donc Socrate dit la vérité, etc... Il s'agit d'un syllogisme absurde : on ne peut être à la fois juge et partie.
Affirmer, lorsque l'on est philosophe, que sa civilisation est supérieure aux autres, c'est un peu comme de claironner "Allez la France, on est les meilleurs!" lorsque l'on est un supporter... français.
Le tambour
Lorsqu'il évoquait le tambourin d’une société traditionnelle, Luc Ferry faisait sans doute référence au film de Volker Schlöndorff, adapté du roman de Günter Grass : Le tambour (Die Blechtrommel). C'est vrai, parfois le martèlement des certitudes empêche le développement d'une pensée critique.
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10 février 2012
23 octobre 2007
Kant : "Observations sur le sentiment du beau et du sublime" : critique
Connu pour sa Critique de la raison pure (1787), ouvrage souvent cité mais rarement lu (sauf par Kador, le chien des Bidochon !) , Kant a également écrit des oeuvres importantes dans une branche spécifique de la philosophie appelée Esthétique, d'abord Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764) puis Critique de la faculté de juger (1790). C’est ce premier ouvrage, écrit par le professeur de Königsberg, promeneur à heures fixes, et âgé alors de 40 ans, que nous allons à présent évoquer par quelques citations dont la justesse du jugement - on appréciera - se dispute à la bonté du cœur !
Dans ce texte, le philosophe qui avoue ne pas faire oeuvre de philosophe mais d'observateur, y exprime d’abord ses opinions sur ce qu’il convient de trouver beau, et ce qu’il convient de trouver sublime :
"Le sentiment raffiné, que nous allons considérer à présent, existe d’abord sous deux formes : le sentiment du sublime et celui du beau. Les émotions par l’un et l’autre sont agréables, mais sur des modes très différents. […] Des chênes qui s’élèvent et des ombres solitaires dans un bois sacré sont sublimes ; des tapis de fleurs, des haies basses et des arbres taillés en formes régulières sont beaux. La nuit est sublime, le jour est beau. "[…] (p. 82)
Cette logorrhée un peu inquiétante où l'arbitraire le dispute à l'absurde, se poursuit pendant plusieurs pages sur un mode de partage naïf : ceci est noble, ceci est admirable, ceci est grand, ceci est magnifique, ceci est estimable, ceci est terrifiant, etc. Mais le délire prend un tour vertigineux lorsque l’auteur décide de procéder de même pour déterminer les différences entre les sexes et les races.
Vous les femmes ! (à faire bondir les ménagères et les femmes actives)
"Section III. De la différence du sublime et du beau dans le rapport des sexes
Le caractère naturel de ce sexe possède encore des traits qui lui sont propres, qui le différencient du notre et se font principalement connaître par le signe de la beauté. […] Une femme a un sentiment fort et inné de ce qui est beau, gracieux et orné. Dans l’enfance déjà, les femmes aiment les toilettes, et elles se plaisent elles-mêmes à se parer. Elles sont propres et très sensibles à ce qui peut provoquer du dégoût. Elles aiment la plaisanterie, et on peut les entretenir de bagatelles, pourvu qu’elles soient gaies et rieuses. […] Le beau sexe a autant d’entendement que le masculin, seulement, c’est un bel entendement, et le nôtre doit être un entendement profond, ce qui a la même signification qu’un entendement sublime."
S’ensuivent quelques recommandations sur l’éducation du « beau sexe » :
"Une réflexion profonde et une méditation continue et prolongée sont nobles mais difficiles et ne conviennent pas bien à une personne en laquelle les libres attraits ne doivent montrer rien d’autre qu’une belle nature. […] Une femme qui a la tête remplie de grec, comme Mme Darcier, ou qui discute à fond le mécanisme, comme la marquise du Châtelet, pourrait aussi porter une barbe; car celle-ci exprimerait plus visiblement encore l’air de profondeur qu’elles recherchent. […] En conséquence, la femme n’apprendra pas la géométrie. […] Les belles peuvent bien laisser Descartes faire tourner indéfiniment ses tourbillons sans s’en soucier. […] Elles ne vont pas se remplir la tête, en histoire de combats, en géographie de fortifications, car il leur convient aussi peu de sentir la poudre à canon qu’aux hommes de sentir le musc. "
La philosophie des Lumières porteuse d'humanisme et d'universalisme
Dans le chapitre suivant sur la différentiation des races peuplant le monde, le philosophe éclairé fait montre de toute la finesse et la bienveillance de son jugement.
"Section IV. Des caractères nationaux, en tant qu’ils reposent sur le sentiment différencié du sublime et du beau
Si les Arabes sont pour ainsi dire les Espagnols de l’Orient, les Perses sont les Français d’Asie. […] Les Japonais pourraient en quelque sorte être tenus pour les Anglais de ce continent. Les Indiens ont un goût dominant pour les bouffonneries […] leur religion consiste en images grimaçantes. […] Quelle stupides grimaces n’accompagnent-elles pas les compliments savants aux multiples courbettes des Chinois […] "(p. 165)
Pour atteindre un peu plus loin au sublime… de l’ignominie :
"Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie. M. Hume invite tout le monde à citer un exemple par lequel un Nègre aurait prouvé des talents, et il affirme ceci : parmi les centaines de millions de Noirs qui ont été chassés de leur pays vers d’autres régions, bien que beaucoup d’entre eux aient été mis en liberté, on n’en pourrait pas trouver un seul qui, soit en art ou en science, soit dans une autre discipline célèbre, ait produit quelque chose de grand. Parmi les Blancs, au contraire, il est constant que certains s’élèvent de la plus basse populace et acquièrent une certaine considération dans le monde, grâce à l’excellence de leurs dons supérieurs. Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines ! et elle semble aussi grande quant aux facultés de l’esprit que selon la couleur de la peau." (p. 166)
"Les Noirs sont très vaniteux, mais à la façon nègre, et ils sont si bavards qu’ils faut les séparer et les disperser à coup de bâton. "(p. 167)
La bonne blague de Kant
"Le Père Labat raconte qu’un serviteur nègre auquel il avait reproché une attitude arrogante envers ses femmes aurait répondu : « Vous le Blancs, vous êtes des vrais fous, car d’abord vous concédez trop à vos femmes, et ensuite vous vous plaignez qu’elles vous cassent la tête. » Aussi bien pourrait-il y avoir là quelque chose qui mérite qu’on y pense, mais, pour faire bref, ce gaillard était tout noir des pieds à la tête, preuve évidente que ce qu’il disait était stupide." (p. 170)
Précision "amusante", ce texte délirant édité chez Garnier Flammarion, dans la collection poche classique est précédé de Essai sur les maladies de la tête, écrit la même année. Il est regrettable de ne pas trouver dans la préface, un avertissement, ou seulement une « mise en perspective » formulé de manière explicite par l’éditeur concernant ces propos outrageusement misogynes et racistes.
Philosophie (φιλοσοφία) : terme composé de deux racines grecques signifiant aimer (φίλειν) et sagesse, savoir (σοφία). Hum hum ?
Alors Kant raciste ?
Oui sans doute, même si ses opinions reflètent d'abord les préjugés propres à son temps.
"Les écrits de Kant sur les races humaines sont émaillés de caractérisations et de jugements qui heurtent notre sensibilité contemporaine. Il ne faut pas pour autant s'abstenir de toute analyse. Est-ce à dire que l'on trouve dans ces textes un authentique "racisme théorique" ? Cette accusation de racisme n'a pas vraiment d'objet à une époque où les modalités d'une pensée non raciste étaient en cours d'élaboration. Seule une analyse dépassionnée des thèses raciologiques de Kant peut rendre justice à la doctrine kantienne et cet ouvrage entend montrer la tension d'une pensée articulée autour d'un centre de gravité à la fois géographique et spirituel, l'Europe, peuplée d'hommes blancs." Raphael Lagier, Les races humaines selon Kant, PUF, 2004, 197 p.
On pourrait prendre plaisir à l’humour involontaire d’un tel ouvrage représentatif de la pensée obtuse des temps passés. Ce serait oublier qu'il fût porteur de sentiments de supériorité et corollairement de mépris, sentiments qui justifièrent d’abord l’esclavage, la colonisation, puis au XXe siècle la ghettoïsation et enfin l’extermination des ethnies jugées inférieures.
Mieux vaut donc lire le dictionnaire des idées reçues (1862) de Gustave Flaubert, véritable traité de la bêtise.
On y trouve notamment cette définition :
MUSIQUE : Fait penser à un tas de choses. Adoucit les moeurs. Ex. : la Marseillaise.
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