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6 novembre 2007

Le temps de la recherche : 1940-1959 : les musiques électroniques #3


Ce parcours sans doute rapide, et forcément lacunaire à travers les musiques électroniques des années 40 et 50, n'a d'autre ambition que celle de proposer quelques repères, afin d'inciter le lecteur, à une découverte plus approfondie de ces musiques nées de la réflexion et de l'expérimentation de compositeurs, de philosophes, de scientifiques et de techniciens.

Durant les années 40 et 50, la musique électronique est encore une musique expérimentale conçue dans des laboratoires. Malgré des expériences développées à la radio : Pierre Schaeffer et Pierre Henry au studio d'essai de la RTF à Paris, ou pour le ballet contemporain : John Cage travaillant avec le chorégraphe Merce Cunningham, Pierre Henry avec Maurice Béjart sur "Symphonie pour un homme seul" - la musique électronique reste encore réservée à une élite d’auditeurs avertis. Comme toujours dans l’histoire de la musique, des inventions et des améliorations technologiques vont donner aux créateurs de nouveaux outils pour défricher de nouveaux territoires sonores. Il s'agira du magnétophone à ruban magnétique, du microphone, de l’amplification électroacoustique et du synthétiseur.

Plusieurs pays s’équiperont de studios ainsi :
- en Allemagne, en 1951, Herbert Eimert prend ainsi en charge le studio de musique électronique de la WDR (Westdeutscher Rundfunk) à Cologne,
- en France, Pierre Schaeffer transporte son Club d’essai (devenu GRMC, Groupe de Recherche de Musique Concrète) et s’installe à la R.T.F. (Radiodiffusion-télévision française) à Paris
- en Italie, Luciano Berio et Bruno Maderna fondent ce qui deviendra par la suite le studio de phonologie de la RAI (Radiotelevisione Italiana) à Milan
- aux États-Unis, Vladimir Ussachevsky et Otto Luening débutent également en 1951 les travaux de leur centre rattaché en 1955 à l’Université de Colombia, puis inauguré en 1959 sous le nom de Columbia Princeton Electronic Music Center (C.P.E.M.C.). Les subsides de l’université leur permettront d’acquérir des synthétiseurs RCA." (source)

De nouveaux outils pour les studios d'enregistrement

Le magnétophone à ruban (1935)
Dès 1900, des expériences pour enregistrer la voix furent menées avec des téléphones, combinés à des inducteurs devant lesquels défilaient, soit des fils, soit des rubans, ou des disques métalliques. En rejouant ceux-ci devant un autre inducteur plus sensible relié à un diffuseur, on réentendait ce qu'on avait enregistré. Mais la qualité n'était pas meilleure que les enregistrements obtenus sur disques 78 tours, ou même sur rouleaux de cires !
Il faudra attendre le ruban magnétique en plastique recouvert d'oxyde de fer pour que le procédé puisse être appliqué à l'enregistrement musical. Le premier exemple de cette technologie sera le magnetophon AEG, une invention allemande datant de 1935, soit bien après le ruban optique. Ce n'est toutefois qu'au milieu des années 50 que le ruban prendra finalement sa place comme médium de choix pour l'enregistrement.
La musique électroacoustique, dont la musique concrète née dans les années 50 sera la première à bénéficier de cette technologie. Quant à la musique acousmatique elle doit sa naissance au ruban magnétique, lequel offre au compositeur des possibilités de combinaison et de transformation des sons par la modification de la vitesse d’enregistrement et de lecture la surimpression et le montage par copier/coller (source)

Le microphone
L'invention du microphone a été déterminante dans le développement des premiers systèmes téléphoniques. Émile Berliner a inventé le premier microphone le 4 mars 1877, mais c'est à Alexander Graham Bell que revient l'invention du premier microphone réellement utilisable. Un microphone (ou plus simplement « micro ») est un dispositif de conversion des ondes sonores acoustiques d'un milieu compressible en impulsions électriques. C'est donc un capteur analogique. (source)
"Parler très bas près du microphone, s'appliquer le microphone contre le cou ... que la machine use d'une voix propre, dure, inconnue, fabriquée avec elle. Ne plus adorer les machines ou les employer comme main d'oeuvre. Collaborer avec ..." (Jean Cocteau, Opium, 1930).
Pour en savoir plus consulter le site : Le microphone


Petite chronologie sélective des machines et des oeuvres ayant contribuées au développement des musiques électroniques

Milieu des années 30 : Charlie Christian utilise une guitare électrique qui lui permet d'amplifier ses solos et de jouer des notes tenues à la manière des saxophonistes (source)

Parallèlement, dès 1936, Jean Sablon est le premier chanteur français à utiliser un microphone.


1938 : Georges Jenny conçoit l'Ondioline, instrument à clavier qui permet le contrôle du vibrato. "L'Ondioline est un instrument monophonique, constitué d'un oscillateur à tubes, d'un clavier à 3 octaves, d'un transposeur d'octaves, d'une série de filtres et d'un amplificateur BF." (source). Le musicien et compositeur Jean-Jaques Perrey utilisera l'Ondioline à partir des années 50, il accompagnera notamment avec cet instrument Edith Piaf et Charles Trénet.
Jean-Jacques Perrey en hommage à Edith Piaf


1939 : John Cage compose Imaginary landscape n° 1. Cette première oeuvre n'existe que sous forme d'enregistrement. Le compositeur peut, à la manière d’un peintre avec son tableau, créer une œuvre sans la médiation d’interprètes.


1948 : Au studio d'essai de la radio à Paris, Pierre Schaeffer invente la musique concrète. grâce à deux incidents légendaires : le "sillon fermé", une rayure sur le disque isole un fragment sonore de son contexte. "La cloche coupée" : il prélève par inadvertance un fragment du son produit par une cloche, après l'attaque, et le répète par la technique du sillon fermé, il modifie sa dynamique et remarque que le son obtenu s'apparente à celui d'une flûte ou d'un hautbois. Pierre Schaeffer invente également la notion d’objet sonore. Diffusion radiophonique d'un "Concert de bruits" (source)

Toujours en 1948 : l'invention du transistor aux Bell Laboratories par Bardeen, Brattain et Schottsky ouvre une nouvelle ère de l'électronique: elle permettra d'extraordinaires progrès dans la miniaturisation des circuits. Le transistor est le composant électronique actif fondamental en électronique utilisé principalement comme interrupteur commandé et pour l'amplification, mais aussi pour stabiliser une tension, moduler un signal ainsi que de nombreuses autres utilisations (source)

Aux cours des années 50, les compositeurs ont surtout travaillé sur trois axes principaux : l’extension du sérialisme (Pierre Boulez), le développement des moyens électroniques (Edgar Varèse, Karlheinz Stockhausen, György Ligeti), et l’introduction du hasard dans le processus compositionnel (John Cage). Ils orientent leurs efforts vers le développement du langage musical.

1949 : Création de "Symphonie pour un homme seul" de Pierre Schaeffer, Pierre Henry Studio d’essai de la RTF, 4 platines disque souple. (source)

1950 : A Cologne, naît la musiques électronique, avec Herbert Eimert, Werner Meyer-Eppler, Karel Goeyvaerts et Karlheinz Stockhausen. A New York, Otto Luening et Vladimir Ussachevsky produisent "Music for tape".

1953 : Premier concert de musique électronique donné à la WDR (Westdeutscher Rundfunk) avec des œuvres de Eimert et Beyer, ainsi que deux premières études électroniques de Stockhausen : "Study I" et "Study II".

1954 : "Déserts" premier essai de musique électronique de Edgar Varèse (percussions et bande magnétique).

1954-55 : Avec le rock 'n' roll, naît pour quelques décennies l'ère de la guitare électrique
Bill Haley & The Comets "Rock around the clock"


1956 : Karlheinz Stockhausen compose "Gesang der Jünglinge im Feuerofen (Dritte Elektronische Studie)", à Cologne. Cette œuvre mêle des voix d’enfants démultipliées et des sons électroniques dispersés dans l’espace. Elle est conçue pour cinq groupes de haut-parleurs répartis géographiquement et permettant de construire une polyphonie spatialisée.

1957 : Production du premier synthétiseur RCA Mark II. Sa construction a coûté 500 000 $.

1957 : Premier enregistrement numérique par Max Mathews aux Bell Telephone Laboratories (souce)

1958 : Edgar Varèse, Iannis Xénakis, Le Corbusier composent "Poème électronique"


1958 : Ligeti compose "Artikulation", déjà évoqué sur ce blog

1959 : Karlheinz Stockhausen compose "Kontact"

1959 : Miles Davis et l'arrangeur Gil Evans utilisent les techniques de montage et de post-production pour l'enregistrement de "Sketches of Spain".

A consulter sur Wikipédia, les définitions musique électronique, musique électroacoustique, musique concrète, musique acousmatique

12 juin 2007

György Ligeti : "Artikulation elektronische Musik" : partition

"Artikulation" est une oeuvre électronique composée en janvier, février 1958, sa réalisation sonore a été effectuée en février, mars 1958 en collaboration avec Gootfried Michael Koenig and Cornelius Cardew, au studio de musique électronique de la radio d'Allemagne de l'Ouest (WDR) à Cologne. La version originale est prévue pour quatre pistes, mais une version pour deux pistes existe aussi. L'oeuvre dure 3 minutes et 47 secondes. La première exécution de l'oeuvre date de mars 1958 à l'occasion d'une série de concerts pour la WDR.
En 1970, Rainer Wehinger en réalisa une version dessinée.
Le film présente cette version dessinéé synchronisée avec l'oeuvre enregistrée.
Ligeti - Artikulation


Ligeti : "Artikulation", an aural score by Rainer Wehinger. - Schott, 1970
Sur le site du Lycée Millet de Cherbourg, on trouve une analyse de l'oeuvre, parmi beaucoup d'autres

27 mai 2007

György Ligeti : "Le Grand Macabre" : disque de la semaine


«Je suis né en Transylvanie et suis ressortissant roumain. Cependant, je ne parlais pas roumain dans mon enfance et mes parents n’étaient pas transylvaniens. [...] Ma langue maternelle est le hongrois, mais je ne suis pas un véritable Hongrois, car je suis juif. Mais, n’étant pas membre d’une communauté juive, je suis un juif assimilé. Je ne suis cependant pas tout à fait assimilé non plus, car je ne suis pas baptisé.»

Compositeur d’origine hongroise, György Ligeti est mort en 2006 à l’âge de 86 ans
Né en Roumanie en 1923, Ligeti fait ses études musicales d’abord à Kolosvar puis à Budapest, auprès de Ferenc Farkas et de de Sandor Veress et restera toujours extrêmement marqué par l’œuvre et la démarche de collectage ethnomusicologique de Bela Bartok. Pendant la guerre contraint de porter l’étoile juive, il est incorporé dans une compagnie de travail obligatoire. En 1944, il s’évade, échappant de justesse à la déportation. Après la Guerre, il devient professeur d'harmonie, de contrepoint et d'analyse au Conservatoire de Budapest, Ligeti quitte la Hongrie en 1956 au moment de l’arrivée des chars russes. Il s’installe en Allemagne de l’Ouest puis en Autriche. Il concrétise son rêve de rencontrer et collaborer avec les plus grands compositeurs de l’avant-garde musicale qui se réunit alors à Darmstadt.

«Jusqu’en 1952, je ne savais pas qu’il existait une musique électronique, une musique sérielle, et en Amérique un compositeur appelé John Cage... Il faut comprendre ce qu’était alors la situation de la Hongrie. Nous étions totalement isolés. Une seule ouverture: les postes de radio allemands; ils étaient brouillés, mais, grâce à eux, je suis arrivé à entendre tout de même des pièces de Messiaen, Fortner, Henze, puis de Boulez, Stockhausen et Nono.»

Avec Stockhausen, il réalisera trois œuvres électroniques : Glissandi (1957), Artikulation (1958), et Pièce électronique no 3 (1958). Loin des dogmes et des chapelles esthétiques, Ligeti poursuivra son travail de composition avec des pièces instrumentales et vocales où se définira un style original, mariage de musique d’inspiration populaire et de modernité savante, de statisme et de rupture, de sérénité et d’angoisse, de gravité et d’humour : Atmosphères (1961), Volumina pour orgue (1962), Aventures (1962), Requiem (1963-1965), Concerto pour violoncelle (1966), Lux Aeterna (1967), Lontano (1967), Continuum pour clavecin (1968), Deuxième Quatuor à cordes (1968), Trio pour violon, cor et piano (1982), Études pour piano (1985-1990), Concerto pour piano (1988), Concerto pour violon (1990).
Dans les années 70, Ligeti travaille à une œuvre de théâtre musical « Le grand macabre » (d’après la pièce de Michel de Ghelderode) qui sera jouée à Stockholm en 1978.
Il remaniera l’œuvre dans les années 80, pour plus de cohérence et de concision, et en fera un véritable opéra qui sera donné au théâtre du Chatelet en 1998.
Le Grand Macabre, à la manière du Père Ubu d’Alfred Jarry, est une farce caustique et grotesque sur le pouvoir totalitaire (que Ligeti a subi par deux fois) montré dans son absurdité, sa bêtise et sa rage mortifère.
Nous sommes à Breughelland (cf Breughel, Le triomphe de la mort), pays entièrement ruiné, où règne Nekrotzar, le Grand macabre « un personnage sinistre, douteux, démagogique. Dépourvu d’humour et pompeux, c’est un être d’une mégalomanie inébranlable ». Le livret se distingue par sa grande crudité de langage, Ligeti revendiquant «un monde rabelaisien, plein d'obscénités, sexuelles et scatologiques».

«Seul l’esprit créateur qui se renouvelle peut éviter et combattre ce qui est raide et figé, le nouvel Académisme. Ni le repos ni le retour en arrière ne sont possibles sans succomber à l’illusion d’un terrain ferme qui n’existe pas» (Ligeti, à propos du Grand Macabre ).

György Ligeti "Le Grand Macabre : opéra (version 1997)" avec Sibylle Ehlert, Laura Claycomb, Charlotte Hellekant... [et al.] ; Philharmonia Orchestra ; Esa-Pekka Salonen. - Sony Classical, 1999. - Enr. à Paris au Théâtre du Châtelet en février 1998

Bibliographie : Le Grand Macabre, L’Avant-Scène Opéra, Bimestriel n°180, nov-déc. 1997